Pour terminer cette année avec un soupçon de poésie, j’ai demandé à Eric Nanni dont je vous ai lu déjà plusieurs textes ici dans Fragîle, s’il voulait bien nous en partager un de son choix. Ce qu’il a fait avec beaucoup de générosité et je l’en remercie.
Le texte que vous allez découvrir est une variation poétique autour des souvenirs et du temps qui passe ponctué de fragments d’une mélodie de l’enfance que vous connaissez tous. Installez-vous confortablement, fermez les yeux, et ouvrez grand vos oreilles.
Merci à Eric pour la poésie de ce texte et à Nine d’avoir prêté sa voix à la ritournelle bien connue.
Les chemins du souvenir sont étroits
Les premiers jours, c’est une odeur, c’est une voix.
Elle chante comme chantent les rivières :
A la claire fontaine m’en allant promener…
La vie est semblable à l’enfant tumultueux grisé par l’ardeur du jeu.
Elle est une chose douce comme un mensonge de Noël.
Sa beauté est partout.
Dans le langage du vent. Les chuchotis des vagues.
Sur les fruits sombres des ronces.
Comme elle l’est aussi sur un joli visage figé à jamais dans l’angle d’une fenêtre. Dans le geste généreux et délicat d’une orange posée dans une assiette.
Les chemins du souvenir sont étroits.
Puis un beau matin de printemps on marche près d’une amoureuse.
C’est une autre voix :
J’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baigné…
Elle nous enchante, s’abandonne et revient dans la clarté des jours embellis par les rires.
Les nuages s’étirent dans le bleu. Les arbres du chemin nous accompagnent et la poussière danse encore longtemps après nos pas.
Puis l’on s’en va dans le monde doucement.
Sans vraiment gouter à la beauté de chaque jour qui s’en va.
Les chemins du souvenir sont étroits.
Miraculeusement sous les arcades de la joie fleurit de nouveau l’enfance.
C’est la rondeur d’un fils ou la douceur d’une fille qui jettent alors sur nos routes des milliers de roses et de lilas.
Le bonheur vient d’eux. Leur joie est notre joie.
Et reviennent les chansons comme de rares ondées :
Sur la plus haute branche un rossignol chantait.
Les chemins du souvenir sont étroits.
Il n’y a désormais plus que des adultes, plus que des âmes grises.
Une qui entre apeurée.
Une qui sort du cercle et se retire dans le froid.
En un battement de paupières sur un enfant endormi.
Tout s’éloigne.
Personne ne viendra plus veiller l’enfant-vieilli.
Enroulé comme l’oiseau oublié dans l’ornière par les vents.
Il laisse s’accomplir le mouvement vers l’inconnu.
En fredonnant une dernière fois :
Il y a longtemps que je t’aime jamais je ne t’oublierais.
Comme les chemins du souvenir sont étroits.