Episode 17 – Elodie Dewaële-Verma : l’Inde, source d’une aventure entrepreneuriale à Porquerolles

Nous nous retrouvons avec Elodie au « Pineapple Express Porquerolles », le nouveau bar à jus, frais et vitaminé, du Restaurant L’Escale. Véritable concept store, dans la mouvance du « Healthy food » tout droit venu de Californie, l’endroit a été en partie relooké par l’agence de graphisme et communication, « Design Insulaire » qu’Elodie et son mari Aakash ont créée il y a un peu moins de 5 ans. En cette chaude après-midi de juin, la terrasse est baignée de soleil. Nous nous installons autour d’une grande table en bois sur des chaises bistrot en métal coloré. L’ambiance se situe à mi-chemin entre le style bohème californien, et le charme doux et sucré des salons de thé anglais. Sur le comptoir en bois, blanc et vert pistache, façon palettes, reposent une bonbonnière remplie de chamallows et des bouquets de pivoines qui cohabitent harmonieusement avec les cactus en pots et les paniers remplis d’ananas et autres fruits charnus. Des clients consomment des jus et des smoothie bowls crémeux et croustillants aux couleurs pastels et acidulées sous des suspensions végétales faites de noix de coco, de pastèques et de flacons remplis de sable et de coquillages.

Elodie Dewaële-Verma

Elodie a une petite heure devant elle. Jeune entrepreneure, elle m’explique que l’organisation est clé pour gérer son temps au mieux. Elle est venue de la presqu’île de Giens, où ils ont emménagé avec Aakash il y a 2 mois, après avoir occupé un bateau dans le port de Porquerolles, qui leur tenait lieu de bureau et de maison. Le nombre de logements est limité sur l’île, et le prix du mètre carré si élevé que de nombreuses habitations se sont transformées au fil des années en résidences secondaires pour la plupart désertées l’hiver. Les débouchés professionnels restreints pèsent aussi sur une réalité économique qui n’encourage pas les jeunes porquerollais à s’installer sur l’île.

Elodie est née et a grandi à Porquerolles à la fin des années 80, début des années 90.

De son enfance elle se souvient cette totale liberté d’aller et venir sur la place du village et ses alentours avec sa bande de copains. Une liberté dont elle ne prendra conscience que plus tard. « Quand on a connu que ça, on a du mal à imaginer autre chose » explique-t-elle simplement.

Lorsque je lui demande si elle se rappelle une anecdote de ses jeunes années sur l’île, elle relate, amusée, le jour où elle a entouré de papier toilette le sapin de noël traditionnellement disposé au centre de la place du village. Déçue de le trouver nu, sans ses décorations chaque année renouvelée, elle s’était rendue à l’Escale pour y emprunter le rouleau de cellulose qui allait servir de guirlande ornementale. L’anonymat étant de courte durée sur la place, Elodie fut rapidement démasquée.

A l’époque, l’entrée au collège de La Crau, sur le continent, marque pour les jeunes porquerollais la découverte de l’internat. « On partait le lundi matin et on rentrait le vendredi soir ». Les collégiens résidant sur l’île aujourd’hui peuvent rentrer chez eux tous les jours par la navette. Elodie n’a pas ressenti de rupture particulière en entrant au collège. « Au début on restait entre porquerollais ». « On ne se sentait pas différents, ce sont les autres enfants qui nous faisaient sentir différents. On était « des porquerolles », en plus on était des internes, les autres enfants nous renvoyaient cette différence d’insulaires et d’internes ».

Elodie quitte l’île en 2007 pour des études en commerce international et en langue hindi à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco dit « Langues O ») à Paris. Sa passion pour l’Inde lui vient de sa mère et d’un premier voyage à l’âge de 17 ans. En 2011, elle effectue un stage à New-Delhi dans une agence de communication du groupe Havas comme assistante chef de projet publicitaire. Elle rencontre Aakash, alors directeur artistique pour le groupe. Ils se marient en 2012, séjournent quelque temps à Paris où ils écrivent un livre illustré intitulé « Let’s Design a Happy World ». En 2016, ils décident de revenir à Porquerolles pour créer leur agence de graphisme « Design Insulaire« .

Elodie retrouve vite ses marques sur l’île et, par sa connaissance du lieu et des habitants, facilite l’intégration de son mari. Pour Aakash, Porquerolles est une terre d’accueil moins anonyme et plus paisible que ne pouvait l’être une grande ville comme Paris. Moins de pression et une certaine douceur de vivre qui, malgré les difficultés rencontrées à trouver un logement, favorisent leur installation. Le carnet de commandes de la jeune agence se remplit progressivement. Conception de sites internet, création d’identité visuelle, de logos, de flyers ou de menus, les besoins des commerçants, hôteliers, restaurateurs et associations locales ne manquent pas. Elodie s’occupe de la partie commerciale, Aakash crée. Ces derniers mois, ils ont embauché un stagiaire pour renforcer l’équipe. Elodie doit même réguler et freiner parfois les ardeurs de quelques clients pressés.

Elodie est d’un naturel pragmatique et spontané. A l’écouter, la vie sur l’île ne diffère guère de la vie sur le continent. « Certes, la proximité oblige à composer avec les gens qui sont là. Pour autant je n’ai pas l’impression que les liens soient plus resserrés sur l’île qu’ailleurs. Normalement on choisit ses amis. Ici on se lie d’amitié avec son voisin ». Quand je lui demande si les hivers sur l’île sont difficiles et s’il faut une certaine disposition d’esprit pour y vivre à l’année, elle répond qu’« étant en activité, les hivers ne sont pas différents pour eux de ceux qu’ils pourraient vivre sur le continent ». Lucide, elle ajoute, « Beaucoup de gens passent leur hiver à regarder tous les films de leur disque dur. Je n’ai pas l’impression que les gens ici aient une vie spirituelle plus ou moins profonde qu’ailleurs. ».

Sur la question des principaux enjeux pour l’île, Elodie est catégorique et engagée : la question écologique est centrale. Mais sur ce sujet encore, l’idée n’est pas, selon elle, de mettre en avant la particularité insulaire. Sans même parler de la restriction d’accès à l’île à laquelle elle n’est pas favorable, Elodie place la gestion des déchets au premier rang des priorités. Le sujet lui tient à cœur. Elle évoque l’initiative « Archipel exemplaire » menée il y a quelques années, qui avait donné lieu à une campagne de sensibilisation des touristes au ramassage et au tri des déchets, avec la distribution de sachets en papier pour les responsabiliser et les obliger à rapporter leurs poubelles sur le continent. Elle déplore que l’initiative ait été abandonnée. Parmi les autres pistes qu’Elodie propose : équiper les commerçants en cuillères en bambous ou en pailles comestibles. « Quand on voit la consommation de glaces et le nombre de petites cuillères en plastique qui finissent par terre, on mesure l’impact positif que cela pourrait avoir ». Elodie regrette que ces initiatives soient portées par les commerçants et les associations de l’île, sans le soutien financier de la ville.   

Nous terminons l’entretien avec quelques questions rituelles.

Sa saison et son endroit préféré sur l’île. Elodie apprécie l’île dans ce qu’elle offre de plus immédiat. « J’adore tout simplement la plage de la Courtade, le soir au soleil couchant en été, après le départ des touristes ». Un plaisir simple…du moins pour les porquerollais.

L’image la plus évocatrice de Porquerolles ?

« Pour moi ça reste quand même les plages. Celles de la Courtade et de Notre-Dame. La Courtade, à l’endroit où la roche est bien rouge. Quand je suis loin et que je pense à Porquerolles, c’est le flash qui me vient. Et la mer, forcément. »

Sa définition du Porquerollais?

Pour Elodie la notion de Porquerollais est un faux débat qui anime régulièrement les discussions de comptoir sans porter à conséquence. Au risque de chagriner quelques anciens, est porquerollais, selon elle, celui qui habite à Porquerolles. Tout simplement.

L’entretien se termine, Elodie s’éclipse dans un sourire, elle est attendue pour son prochain rendez-vous.

A l’extrémité de la terrasse où nous sommes assises, des clichés en noir et blanc encadrés montrant les « Anciens de l’Escale » sont alignés sur une console en bois face à la rue principale. Ces photos d’une autre époque rappellent que ce lieu branché, où les visiteurs d’un jour viennent faire une halte rafraichissante de quelques minutes avant de reprendre la navette, reste l’un des lieux privilégiés où les Porquerollais se retrouvent depuis des générations été comme hiver.

POUR ALLER PLUS LOIN

L’agence d’Elodie, Design insulaire