« Je ne savais pas que Porquerolles était une île […] Je suis arrivé ici et j’ai tout de suite pensé : c’est magnifique ! J’ai marché pendant 3 jours. J’ai fait le tour de l’île, et je me suis dit, alors même que je ne connaissais personne encore sur l’île : c’est ici que je veux finir mes jours ! Je m’en souviens, c’était aux Gorges du loup. Ça n’a jamais changé depuis ».
Jimmy habite tout au bout de la rue du Phare, cette petite rue qui longe l’école, bordée d’une enfilade de maisons rose orange et jaune, de bougainvilliers et de lauriers rose, où viennent se perdre quelques touristes mal orientés, croyant se trouver sur la route du même nom. L’endroit est paisible et calme. Difficile d’imaginer que quelques mètres plus bas, ce sont des centaines, voire des milliers de visiteurs qui se pressent chaque jour sur la Route du Phare pour rejoindre les Gorges du Loup ou la Route des crêtes en passant par le Cap d’Armes, pointe la plus méridionale de l’île, où le phare veille.
Jimmy est venu s’installer avec sa famille en 1968, mais sa rencontre avec Porquerolles remonte à 1945. Aujourd’hui, à l’âge de 94 ans, il partage sa maison avec Cyril son petit-fils et Fabienne, la femme de ce dernier ainsi que son arrière-petite-fille. Il occupe la partie supérieure de la maison. Lorsque j’arrive, Peggy, la jeune femme qui vient aider Jimmy deux jours par semaine depuis presque 20 ans, m’accueille avec un large sourire. Jimmy souhaite que nous nous installions sur la terrasse extérieure qui surplombe quelques maisons du village, le hameau agricole, et au loin le chemin vers le Langoustier. Le chant des cigales est puissant ce matin de juillet. Jimmy m’assure qu’il était beaucoup plus sonore encore il y a quelques années.
Jimmy découvre Porquerolles à l’âge de 20 ans en 1945. Il termine l’école des Mousses et se rend à La Londe les Maures pour y suivre un cours de radiotélégraphie avec la Marine Nationale. Le premier jour, il arrive en retard au moment de l’appel, et est envoyé à Porquerolles. Originaire de Paris où il est né et a grandi, il découvre pour la première fois le sud de la France. « Je ne savais pas que Porquerolles était une île ». Jimmy est saisi par la beauté des lieux. Le coup de foudre est immédiat. « Je suis arrivé ici et j’ai tout de suite pensé : c’est magnifique ! J’ai marché pendant 3 jours. J’ai fait le tour de l’île, et je me suis dit, alors même que je ne connaissais personne encore sur l’île : c’est ici que je veux finir mes jours ! Je m’en souviens, c’était aux Gorges du loup [l’endroit qu’il préfère sur l’île]. Ça n’a jamais changé depuis ».
Jimmy ne doit rester que six mois à Porquerolles pour son cours de radio, mais on lui propose un contrat de trois ans à la Marine Nationale. Il vient de terminer l’Ecole des Mousses et ne souhaite pas poursuivre dans la Marine Nationale. Il demande donc sa résiliation. Finalement il va rester une année, préposé au soin de la cambuse*. Il rencontre sa femme, originaire de Porquerolles. « Il n’y avait que 2 filles à marier sur l’île, dont ma future femme » sourit-il. « On se cachait, car c’était mal vu d’aller avec un marin ». Leur union est célébrée un an plus tard, et Jimmy se souvient avec émotion la haie d’honneur formée par les marins le jour de leur mariage.
Ils rentrent à Paris. Sa femme revient le plus souvent possible sur l’île avec leurs enfants. Jimmy qui travaille dans l’esthétique industrielle, et se déplace souvent en province pour visiter ses clients, les y retrouve régulièrement entre deux déplacements.
1968, la société de consommation est contestée, la situation économique se détériore, Jimmy perd une partie de ses clients, Thomson, Brandt…au profit de fournisseurs italiens ou espagnols qui fabriquent des pièces à des prix plus compétitifs. Ils décident en famille de vendre leur appartement à Paris et viennent s’installer définitivement à Porquerolles, pour le bonheur de toute la famille.
De cette époque, Jimmy se souvient le Corail rouge, la navette qui circulait trois fois par jour entre Porquerolles et la Tour Fondue : elle occupait toute la longueur du quai et ne comptait qu’une cabine pour le pilote. « Les jours de pluie, c’était quelque chose ! »
Il continue pendant quelques années à travailler dans le milieu de l’esthétique industrielle, puis est élu comme adjoint au maire d’Hyères. Il va notamment participer au développement et à la construction de logements sur l’île dans les années 70, soucieux du rajeunissement de la population, et de favoriser l’installation des jeunes familles. Il se remémore 1971, l’année du rachat de l’île par l’Etat à la famille Fournier pour la sauver des spéculateurs, et de la venue d’un ministre sur l’île pour cet événement.
« Pour moi cela a été une joie et un soulagement que l’île soit rachetée par l’Etat. Grâce au Parc National ensuite, plus de construction sur l’île n’a été possible »
En 1975, ils ouvrent un restaurant avec sa femme dans la maison qu’il occupe actuellement. Bien nommé, « L’Orée du bois » se situe en marge de tous les autres commerces et restaurants regroupés sur la place du village. On y sert une cuisine familiale traditionnelle. Jimmy m’en montre quelques photos. L’une révèle une quinzaine de tables soigneusement dressées à l’ombre d’une pergola, une autre, un serveur en chemise blanche éclatante et nœud papillon, dressant le couvert devant un large plateau de poissons et de fruits de mer. Jimmy parle avec joie et modestie de cet endroit convivial et retiré qu’ils ont tenu avec sa femme pendant 20 ans. Ils recevaient une clientèle d’habitués qui revenaient d’une année sur l’autre pour la fameuse bouillabaisse et l’omelette norvégienne. Il est d’ailleurs arrivé, bien des années plus tard, que des personnes se présentent pour savoir si le restaurant était encore ouvert.
Quand je l’interroge sur les évolutions de l’île qu’il a pu observer, Jimmy est résolument positif et son émotion intacte devant la beauté de la nature.
En éternel amoureux de l’île, il ne cesse de s’émerveiller.
« Ça ne peut pas être autrement que la beauté, la finesse, et la joie de vivre ici. Certes les cigales chantent moins fort, les abeilles ont disparu mais globalement, l’île n’a pas changé ».
Son conseil au visiteur d’un jour : marcher et prendre le temps d’observer la nature avec des yeux d’enfant. Sans surprise, le Porquerollais pour Jimmy est celui qui est amoureux de Porquerolles. Il aime indifféremment toutes les saisons sur l’île.
L’installation de la Fondation Carmignac est une bonne chose selon lui. Il me confie qu’il n’a pas encore eu l’occasion d’aller la visiter mais a prévu de s’y rendre prochainement. Culturellement, l’île s’en trouve enrichie, « ça crée un équilibre ».
Seules ombres au tableau peut être, le tourisme, la sur fréquentation, le dictat de l’argent, et sous leur pression, la dégradation de la qualité de la restauration. Avec douceur, il ajoute : « Les gens ne sont pas fous, ils vont s’en apercevoir. On ne fait pas de blague comme ça dans un lieu pareil, sans en subir le contrecoup. Cette année déjà il y a moins de monde ». Une certaine forme d’auto régulation touristique pourrait s’opérer de ce fait.
La question environnementale le touche mais lui paraît complexe. Il cite les crèmes solaires, source de pollution des océans. Il essaie d’agir à son niveau par de petites actions, comme la récupération de l’eau de vaisselle pour arroser son jardin.
Par-dessus tout, sa plus grande crainte pour l’île reste le feu. Répéter inlassablement qu’il est interdit de fumer en dehors des rues du village est essentielle. La prévention est un enjeu constant et la fermeture des massifs les jours qui suivront notre rencontre, est là pour nous le rappeler incontestablement.
Pour terminer, je demande à Jimmy d’imaginer à quoi pourrait ressembler Porquerolles dans 20 ou 30 ans. Il se tourne vers le paysage sur lequel s’ouvre la terrasse, et m’invite à faire de même. Le crissement des cigales s’est amplifié. Son regard bleu et doux plongé dans l’horizon par-delà les arbres, Jimmy conclut l’échange avec plénitude et confiance,
« Dans 20 ou 30 ans, Porquerolles n’aura pas changé, ce sera toujours une vie tranquille, une vie de fleurs, de variation de couleurs et la nature sous toutes ses formes».
*La cambuse est le local d’un navire, où est entreposée, dans la marine traditionnelle, une partie des vivres. C’est notamment là que les cambusiers distribuent quotidiennement les vivres non cuisinés (eau, vin, pain… ) à l’équipage.

