Épisode 24 – Jeanne Biras – Fenêtre sur port

« C’est un monde qui se réduit quand on vit ici, mais qui se densifie en même temps. Il se réduit dans le nombre de sollicitations, de stimuli extérieurs, mais il se densifie dans l’intensité, dans la puissance sensorielle de tout ce qui est proposé »

Jeanne a fait carrière dans le cinéma. Après des études à l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques) à Paris, elle a collaboré en tant que directrice de casting à plus de 40 longs métrages avec des réalisateurs tels que Louis Malle, Alain Chabat, Arnaud Desplechin, Olivier Dahan ou Virginie Despentes. Une filmographie éclectique. Depuis, elle a écrit et réalisé plusieurs longs métrages et séries pour la télévision. Porquerolles fait partie de sa vie depuis toujours.

L’épisode s’ouvre sur l’image de son plus jeune fils de 22 ans, le matin même de notre rencontre. Sur le point de quitter l’île, admirant la baie et la côte à l’horizon d’une des fenêtres du Miramar entre le port et pointe prime, il glisse à Jeanne : « Ce que je souhaite de tout cœur, c’est que ça ne change jamais tel que c’est maintenant ».

A partir de cette scène, faisant appel à son sens inné de la narration, Jeanne va retracer les épisodes de son incroyable histoire familiale avec en creux l’évolution de son rapport à l’île.

Son grand-père était, comme François-Joseph Fournier (acquéreur de l’île en 1912), responsable d’une mine d’or en Indochine. Amoureux de nature, ses grands-parents découvrent Porquerolles au milieu des années 50 après avoir beaucoup voyagé. Ils louent alors la maison de l’Oustaou, des chambres à l’Arche de Noé…Marine, la mère de Jeanne est l’ainée d’une grande fratrie. Elle rencontre son futur mari, Francis « un fougueux moustachu » un soir de bal du 14 juillet en 1958. Jeanne revient sur l’incroyable parcours de son père. Orphelin, originaire du Périgord, autodidacte, résistant, monté à Paris pour faire les Beaux-Arts, il vit de petits boulots, répond à une annonce et se retrouve assistant de Matisse pour ses collages et créations de papiers découpés.

Jeanne Biras devant le Miramar

Il milite au Parti Communiste à la cellule du 6ème arrondissement où se retrouve une partie de l’intelligentsia parisienne. Il y rencontre Floria Fournier (fille de F-J Fournier) et son mari Jean Prodromidès qui lui proposent un poste de régisseur à la ferme Notre-Dame, qu’il accepte. On est en 1957. Jeanne est conçue à Porquerolles et prise sous l’aile de sa grand-mère qu’elle adore et qui la considère comme sa fille. Cette grand-mère qui sent le Shalimar, porte des colliers de turquoise sur de longues djellabas et bronze nue à la grande Cale lui transmet un certain art de vivre.

Jeanne raconte ses étés d’enfance et d’adolescence sur l’île, la liberté, les copains, les fêtes…

A l’âge de 19 ans, l’île lui apparait comme étriquée, trop étroite. Jeanne a besoin de voir le monde, elle se lance dans le cinéma. Ce n’est que 5 ans plus tard, au milieu des années 80, à la naissance de son premier fils qu’elle décide de retourner à Porquerolles. « Comme une nécessité une urgence de présenter son nouveau né à l’île ».

Marine et Francis, les parents de Jeanne, sur un cheval à la ferme Notre-Dame

S’ouvre un nouvel épisode de la vie de Jeanne, avec ses enfants qui se mélangent aux enfants du village, se déplacent en bande. On est dans les années 90. A travers l’évocation de ses souvenirs, on ressent le vent de liberté et ce sens du collectif qui soufflent sur ces années d’amitié où les vacances se vivent en communauté.

Jeanne a posé ses valises à Porquerolles depuis quelques mois avec un rêve à réaliser : « tourner un film à Porquerolles, nourri de son approche et de sa connaissance de l’île ».  Cette installation ouvre une nouvelle étape charnière de son lien avec l’île. Outre ses activités cinématographiques, Jeanne se forme depuis 3 ans pour être professeur de yoga. « Porquerolles est un lieu très chargé au niveau énergétique, organique » propice à l’exercice de la méditation qu’elle pratique quotidiennement ici de façon assez ritualisée. Jeanne a ce talent pour poser les mots sur ce que l’île peut provoquer en émotions et sensations.

« Quand on est à l’intérieur de l’île, il y a des endroits qui vibrent, des passages, des portes d’un espace à un autre de la nature, avec ces gardiens que sont ces grands arbres ».

Comme une boucle qui semble se refermer, Jeanne est devenue grand-mère récemment.

Pourtant à l’écouter et l’observer, le regard pétillant et songeur tourné vers l’encadrement de la fenêtre, ce n’est pas l’image d’un chapitre qui se clôt qui apparaît, mais bien la feuille blanche sur laquelle elle s’apprête à composer la suite qui se dessine.

Un épisode envoutant qui vous embarque sur les rivages de l’imaginaire.