Michel, découvreur du moulin, amoureux de la mer et du vent
« Voir qu’un bâtiment pouvait utiliser la force du vent, ça m’a passionné! »
C’est dans l’antre du Moulin de Porquerolles, baptisé « Moulin du bonheur » que Michel me reçoit. Situé au-dessus du village, à 200 mètres du Fort St Agathe, ce moulin qui ne tournait plus depuis plus de 200 ans a repris vie en 2007 sous l’impulsion de Michel, qui a œuvré pour qu’il soit reconstruit à l’identique dans la tradition des moulins à vent provençaux. J’embarque avec lui, portée par sa voix calme et chantante au timbre doux dans le récit incroyable de cette reconstruction, fruit d’une curiosité tenace et d’une passion immodérée pour le vent. D’ailes en voiles, nous allons dériver et remonter le sillage de son ancrage à Porquerolles. Pendant que Michel raconte, le vent siffle dans la charpente, comme dans les voiles d’un bateau.
L'arrivée à Porquerolles
Michel se définit comme un « provençal complet », et ce n’est pas son accent du sud qui peut le démentir. Originaire d’Ollioules dans le Var, il a enseigné au collège du Lavandou auprès de jeunes en classes de transition puis en tant que professeur de mathématiques et de sciences physiques. On sent qu’il a exercé son métier avec passion et le désir fervent d’extraire ces jeunes de leur situation d’échec scolaire, de rendre vivantes ces matières complexes. Passion qu’il partage avec sa femme Monique. Ayant découvert Porquerolles lors de nombreux étés passés sur leur bateau dans le port, ils décident, à la retraite, dans les années 2000, de séjourner plusieurs hivers sur l’île jusqu’à leur installation définitive en 2006.
« Avec l’accent que j’ai, je n’ai pas eu de problème pour m’intégrer » confie-t-il amusé quand je lui demande si l’adaptation a été facile à leur arrivée sur l’île. Les vacances répétées de longue durée ont facilité aussi leur installation et permis de nouer des liens, avec les gens du port pour commencer. « A Porquerolles il y a les gens du port et les gens du village » indique Michel qui peut se prévaloir désormais de bien connaître les deux mondes.
Elire domicile sur l’île pour leur retraite sonne comme une évidence. Aussi bien pour Monique dont la voix traduisait la joie de cette installation lors de notre entretien, que pour Michel qui l’énonce avec plus de pudeur comme allant de soi, dans le prolongement de liens tissés de longue date. Le sentiment partagé d’avoir trouvé leur lieu source pour ces deux amoureux de la mer et du vent.
La découverte du moulin et sa reconstruction
Michel est passionné de voile et de bateau. La découverte du moulin de Porquerolles et l’histoire de sa résurrection sont enracinées dans cette relation au vent qu’il entretient depuis longtemps.
« Voir qu’un bâtiment pouvait utiliser la force du vent, ça m’a passionné » raconte-t-il l’œil pétillant.
Quand Michel le découvre en 2000, le moulin est connu pour être le lieu de rendez-vous des amoureux de Porquerolles, d’où son appellation détournée de « Moulin du bon vent » en « Moulin du Bonheur » dit-il.
Michel est le premier à songer rendre ses heures de gloire à cette tour en ruine dont l’entrée, ou ce qu’il en reste, située du côté opposé à la direction des vents dominants pour ne pas entraver la rotation des ailes, rappelle ses fonctions premières. Il s’en ouvre au Directeur du Parc National de Port Cros de l’époque, Emmanuel Lopez, qui s’émerveille et lui répond « Vous me faites rêver ». La voix de Michel tremble à l’évocation de ce souvenir. Cette rencontre déclenchera les autorisations et les financements nécessaires pour entreprendre les travaux de restauration qui vont durer deux ans entre 2005 et 2007. Jean-Charles Dutelle en est l’architecte et son père, Charles Dutelle, ébéniste, en concevra la charpente chez lui dans le Var. L’enthousiasme avec lequel est accueilli le projet à Porquerolles facilitera sa réalisation. Le soutien du Parc en la personne d’Emmanuel Lopez sera déterminant. Michel reste humble dans le rôle de « découvreur » qu’il a joué dans la renaissance du moulin. Il est intarissable et pourrait parler des heures de ce « moulin bateau » dont le meunier, tel un navigateur oriente et drape les voiles selon la force du vent. Car comme pour la voilure d’un bateau, c’est le vent qui détermine la surface de l’entoilage. Toute la toiture en charpente repose de son seul poids sur la maçonnerie.
Un soupçon de nostalgie pointe dans sa voix quand on évoque le moulin aujourd’hui. Désormais c’est le Parc National qui s’en occupe, en organise des visites.
« J’avoue que j’ai complètement laissé la main » confie Michel la gorge serrée. Il retourne volontiers voir le moulin mais ce n’est pas sans un petit pincement au cœur. « Je n’en ai plus la maitrise. Ce n’est plus mon moulin je l’ai donné quoi » ajoute-t-il. Des projets sont à l’étude. Michel suit cela de loin.
La vie insulaire, un art de vivre
Je l’entreprends sur son rapport à l’île et lui demande de me raconter comment il occupe ses journées à Porquerolles. Pour cet amoureux de nature, la marche est une activité salutaire et quotidienne. Avec Monique, ils sillonnent souvent les sentiers de l’île se promenant entre 2 et 3 heures sans jamais cesser de s’émerveiller des trésors qu’elle leur offre. L’équilibre de Michel se trouve quelque part entre l’eau et l’air, la mer et le vent. Ils ont beaucoup navigué même si Michel admet « qu’ils se sont calmés depuis quelque temps ». Outre sa découverte du moulin, son engagement à la SNSM en tant que sauveteur en mer constitue un souvenir marquant de ses années à Porquerolles. Il se souvient avoir vécu des expériences difficiles au sein d’une équipe soudée. C’est cette fraternité dans l’adversité qu’il évoque avec émotion et pudeur.
Pour Michel, c’est au printemps et à l’automne que l’île revêt ses plus beaux atours. Les hivers peuvent être rudes quand le mistral s’installe, et l’été« on est envahis, l’île ne nous appartient plus ». Alors qu’à l’automne et au printemps, les balades quotidiennes sont l’occasion de partir à la cueillette des champignons et de la salade sauvage, de découvrir les amandiers en fleurs…la nature se transforme et se montre généreuse.
Mais l’île à l’année ne ressemble pas aux clichés de cartes postales. « Ce n’est pas du tout la même vie que sur le continent. On n’a pas tout sur place. Quand on a 3, 4, 5 jours de mistral avec des tempêtes c’est quand même colossal. Vivre sur l’île c’est comme vivre sur un gros bateau, il faut tenir compte de la météo ». La nature, les balades, la mer, le bateau, suffisent à son équilibre. Il conçoit que la vie sur une île ne soit pas à la portée de tous et qu’il faille certainement avoir un petit côté sauvage pour l’apprécier pleinement.
La vie insulaire est un art de vivre pour Michel.
« On se connait tous, il y a une espèce d’intimité qui se crée entre nous, on est un peu comme une grande famille. »
Plus encore que dans un village, parce qu’un village on peut s’en échapper, l’ile c’est un peu plus difficile. On est soudés, on est tellement liés les uns aux autres, qu’on n’a pas intérêt à se fâcher ». Le seul inconvénient peut être à la vie insulaire selon Michel, « c’est l’éloignement des commerces et le fait qu’il faille traverser, parfois par n’importe quel temps ». Mais si la vie en autarcie totale était possible, il adorerait !
Si les iliens partent souvent en vacances sur d’autres îles, Michel explique que c’est probablement parce que « l’espace du continent doit leur faire un peu peur, il est trop vaste.
« Une île on connait ses limites, on s’y sent bien alors que le continent on s’y sent un peu perdu ».
Conseils aux visiteurs de l'été
L’été, Michel et Monique aiment retrouver leur bateau. « Les passagers d’un jour envahissent l’ile mais ne nous envahissent pas. Ils passent sur le port mais n’y restent pas ».
C’est un état de fait pour Michel, l’invasion estivale journalière est gênante.
« L’ile perd son charme. C’est un peu comme sur les grands boulevards à Paris, ou au Mont St Michel, c’est un grand déménagement de personnes, les gens défilent, on se demande ce qu’ils apprécient d’ailleurs »
Certains s’en offusquent et fuient l’île, pour d’autres c’est la saison touristique qui démarre avec ses enjeux économiques. Michel le déplore sans animosité, il constate, observe, adapte son rythme de vie sur l’île et avance quelques suggestions.
D’ailleurs s’il avait un conseil pour le visiteur d’un jour qui souhaiterait saisir un peu de l’essence de Porquerolles, ce serait en premier lieu de ne pas céder à la tentation des plages.
Prendre les chemins de traverse à l’intérieur de l’île, du côté des oliviers, vers le phare… Il est encore possible de trouver des lieux de ressourcement et de tranquillité sur l’île au cœur de l’été à condition de sortir des sentiers battus. Pour les marcheurs, il conseille une balade, sur des chemins peu empruntés l’été, la route des crêtes, le long de la côte vers la baie du Langoustier. D’un côté on domine la mer et de l’autre la baie d’Hyères et le village. « Il faut y grimper, ça se mérite mais ça vaut le coup ». L’endroit qu’il préfère sur l’île c’est la Vigie, ce point culminant situé au sud de l’île qui s’ouvre d’un côté sur le grand large et offre de l’autre une vue plongeante sur l’île et ses plaines cultivées.
Hors saison, les plages restent pour Michel l’image la plus évocatrice de Porquerolles. La place d’Armes, si grande et si ouverte et qui avait tant charmé et rappelé à François Joseph Fournier les places mexicaines, également. Pour Michel c’est le cœur du village, le lieu où on se retrouve pour discuter et jouer aux boules. Symboles de l’île, les plages et la Place d’Armes sont les lieux emblématiques de Porquerolles aux visages les plus contrastés entre l’hiver et l’été.
Un voeu pour l'île
Michel mesure la grande fragilité de l’île mais il fait partie de ceux qui portent une vision plutôt positive sur son évolution. « Qu’elle ne change pas, qu’il n’y ait pas trop de bouleversements environnementaux » c’est le vœu qu’il formule pour les prochaines années. La présence du Parc National joue en cela un rôle important dans sa protection et sa préservation. « L’île n’est pas capable d’absorber de telles fréquentations l’été. La régulation du nombre de bateaux pourrait être encore renforcée » selon lui.
Avant de nous séparer, Michel me montre le fonctionnement du moulin, m’explique les différentes essences de bois utilisés pour la charpente, le rôle des meules, la tournante et la dormante… L’entretien s’achève avec le retentissement de la clochette destinée à avertir le meunier que la trémie est vide. Les plaintes du vent dans l’armature du moulin, elles, n’ont pas cessé.
Pour aller plus loin
L’histoire du moulin de Porquerolles: http://mapage.noos.fr/porquerolles/citatio/moulin.htm
LIVRE
Le moulin qui avait perdu ses ailes, album écrit par Monique Ribis et illustré par Sabine Chautard: https://www.moulinsdefrance.org/wp-content/uploads/2018/09/Lemoulinquiavaitperdu_CommuniqueFFAM.pdf